le rire des bouffons et l’inversion de l’ordre tragique

 Jacques Lecoq 1921-1999 : le rire des bouffons et, l’inversion de l’ordre tragique

 « La différence entre le clown et le bouffon, c'est que nous nous moquons du clown tandis que les bouf­fons se moquent de nous.

La base bouffonnesque, c’est la moquerie poussée jusqu’à la parodie. Les bouffons se divertissent à reproduire, à leur manière, la vie des hommes à travers des jeux et des « folies ». La parodie n’est pas directement offensive à l’égard du public; il n’y a pas volonté délibérée de se moquer de lui, le rap­port est d’un autre ordre.

Les bouffons viennent d’ailleurs, ils sont liés à la verticalité du mystère, ils font partie de la relation du ciel et de la terre dont ils renversent les valeurs. Ils crachent sur le ciel et invoquent la terre; en ce sens, ils sont dans le même espace que la tragédie; ils se croisent sur la même verticale.

 Ce peuple des bouffons est immense et l’on ne peut en préciser les limites. On retrouve là, comme en écho, les peintures de Jérôme Bosch, Aristophane, Shakespeare, le père Ubu, les gargouilles des cathédrales du Moyen Age, le bouffon du roi et de gros bébés de quarante ans. Les bouffons appartiennent à la folie, à cette folie nécessaire pour mieux sauver la vérité. On accepte du fou ce que l’on n’accepte pas d’une personne dite normale. On peut l’excuser lorsqu’il dit des paroles dérangeantes, mais on l’entend, comme le roi entend son fou.

Ils vont représenter devant nous d’une manière hété­roclite, proche des parades, nos propres folies. Ils jouent notre société, les thèmes du pouvoir, de la science, de la religion. Ainsi les bouffons dénoncent et, dans le même temps, proposent l’espace tragique. » 

[Jacques Lecoq, 1987, Théâtre du Geste, Bordas p 119]